vendredi 11 août 2017


Il avait un mépris inné pour toute cette humanité remuante et férue de voyages qui semblait courir derrière le bonheur, mais, en fait, n'arrivait qu'à tourner en rond, inapte à saisir autre chose qu'une vérole de plus ou de moins. Ce mépris découlait d'un instinct profond et non d'une attitude visant à la critique sociale ; il y avait longtemps que la réforme de ses contemporains avait cessé de l'intéresser. Il avait mieux à faire. Le combat qu'il menait était son combat personnel, journellement renouvelé, et ne tendait qu'à détourner à son profit une parcelle de cette joie égarée parmi les hommes, souvent imprévisible et méconnaissable. Avec cette éthique simple, essentiellement réaliste, il parvenait à être parfaitement heureux et, de plus, n'importe où ; il n'y avait pas pour lui d'endroits spécialisés dans le bonheur. Et ce n'était pas son ami Teymour qui allait lui prouver le contraire par le récit de ses aventures à l'étranger. Tous les pays avaient leur contingent complet d'imbéciles, de salopards et de putains. Il fallait être un débile mental pour croire qu'il se passait ailleurs des choses prépondérantes. La seule diversité était celle du langage ; c'étaient partout les mêmes imbéciles, les mêmes salopards et les mêmes putains qui s'exprimaient dans des langues différentes, voilà en quoi consistait toute la nouveauté. Medhat refusait d'absoudre l'aberration de ceux qui apprenaient toutes sortes d'idiomes étrangers afin de pénétrer le sens des mêmes âneries qu'ils pouvaient entendre chez eux sans se déplacer et gratuitement. 

Albert Cossery - Un complot de saltimbanques



psst: Merci Fred


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