lundi 11 octobre 2021



 La rectitude politique alors, ce serait le symptôme de quelque chose de beaucoup plus important que ce qu’il paraît, que ce que la droite peut en dire ?

P.M.  : Oui, je le crois, c’est tout au moins la thèse de cet essai : la rectitude politique, c’est un regard sur le monde, une nouvelle doxa, une sorte de "pli de la pensée" qui s’installe bien souvent à notre insu et qui touche notre collectivité dans son ensemble.
Ce qui fait qu’elle finit ainsi par être bien plus qu’une atteinte possible à la liberté d’expression ; ce qu’elle tend néanmoins à être aussi ! Elle est en même temps le symptôme d’un rapetissement de l’action politique démocratique, et renvoie à une crise profonde de la représentation politique, du politique lui-même, de la compréhension que l’on peut en avoir. Avec tout ce que ça implique de reniement, de cynisme, et au passage d’affaissement de la pensée de gauche. Car dans la tradition de gauche, on aspire à changer « le réel du monde », pas seulement l’image qu’on peut en avoir. Dans Le Monde Diplomatique de septembre dernier, il y avait un article de Benoit Bréville et Renaud Lambert dont le titre Sermonner le monde ou le changer, résume bien cette transformation : il ne s’agit plus, comme le veut la politique appréhendée depuis un point de vue de gauche, de changer le monde par une action politique de type collectif et émancipateur, il s’agit de se contenter des apparences ou de changements cosmétiques, superficiels, en faisant au passage primer le jugement moral sur tout.

Oui tu insistes beaucoup là-dessus, sur le jugement moraliste, évoquant même la « moraline » de Nietzsche. Et en plus tu te permets de critiquer assez sévèrement Québec solidaire à ce propos, disant qu’on y confond morale et politique. Pourquoi ?


P. M.  : C’est que c’est peut-être un problème plus important qu’il n’y paraît : la morale s’adresse d’abord au « je », à l’individu (pris dans son individualité) en le ramenant à la question suivante : que dois-je faire ? Alors que la politique s’adresse d’abord au « nous », à la collectivité que nous formons, et cherche à répondre à un autre type de question : que pouvons-nous faire ensemble ? Ce qui, sans exclure bien entendu la morale (ou l’éthique), appelle cependant une autre démarche, d’autres sens des valeurs, d’autres priorités. Or c’est comme si à Québec solidaire, depuis le brusque accroissement de son membership au cours des années 2017-2018, la morale avait fini –dans certains cas au moins (je pense au débat sur la laïcité)- par prendre le pas sur la politique. Avec tout ce que cela peut avoir de problématique et de contre-productif : jugements à l’emporte-pièce (sans argumentation digne de ce nom), condamnations a priori, recherches de coupables, anathèmes, individualisation des problèmes, etc. J’en sais quelque chose, moi qui ai défendu à cette occasion, et avec maints arguments, le compromis Taylor Bouchard et dont le point de vue a finalement été réduit –sur les médias sociaux— à... rien d’autre que celui d’un « privilégié, mâle, blanc, raciste, etc. ». Il ne faut pas l’oublier, la morale peut très vite se muer –comme en font foi les mises en garde de Nietzsche sur la moraline— en un moralisme de bas-étage qui juge sans précaution et est obsédé par la recherche d’un coupable qu’il faut coûte que coûte punir.


source

Aucun commentaire: