dimanche 20 avril 2014


Avant qu'un quart d'heure se fut écoulé, nous étions tous — Nelly, Zander, Mik et moi — installés, en attendant Hirgué sorti un instant chercher la cocaïne ( on m'avait expliqué pendant le trajet que ce dernier ne prisait pas, mais vendait seulement la drogue ) — dans une chambre bien chauffée, remplie de très vieux meubles. Immédiatement derrière la porte de sorte qu'on ne pouvait l'ouvrir qu'à moitié, se trouvait un vieux piano; ses touches avaient la couleur de dents pas lavées et dans les chandeliers qui penchaient des bougies torsadées, rouges, criblées de petits points dorés, et que les queues des mèches surmontaient, s'inclinaient de côtés différents ( les ouvertures des chandeliers étaient trop grandes ). Plus loin, le long du mur s'avançait une cheminée dont la plaque de marbre blanc supportait, sous un globe de verre, deux gentilshommes français en pourpoint, bas et bottines à boucles; penchant leurs petites têtes, ils esquissaient un pas de menuet tout en s'apprêtant à lancer élégamment une pendule au cadran blanc, sans verre, avec un trou pour le remonter et une seule aiguille, d'ailleurs tordue. Au milieu de la pièce il y avait des fauteuils bas en velours jaune ou noir selon qu'on le caressait dans le bon sens ou à rebrousse-poil, tellement lisse qu'on aurait pu tracer des signes. Et entre les fauteuils il y avait une table ovale, laquée noire, dont les pieds d'une courbure compliquée étaient réunis par un petit plateau sur lequel était posé un album de famille, dont je m'emparai. L'album était fermé par une boucle avec un bouton et, quand on appuyait dessus, il s'ouvrait en tressautant. Il était relié en velours violet (en dessous la reliure était munie à chaque coin, de têtes de clous en cuivre, bombées et légèrement tronquées sur lesquelles l'album reposait comme sur des roulettes ), et sur le dessus une image aux couleurs fendillées représentait une troïka lancée crânement par un cocher au fouet levé avec des nuages sous les patins du traîneau. J'allais l'ouvrir et feuilleter les pages intérieures qui étaient dorées sur la tranche et d'un carton si épais que, lorsqu'on les tournait, elles claquaient les unes contre les autres comme du bois — mais à ce moment Mik m'appela vivement à l'autre bout de la pièce. « Voilà, admirez, dit-il sana se retourner et m'invitant à approcher de son bras tendu en arrière. Regardez seulement ce bâtard, regardez seulement cette horreur ! » Et il me montra un bébé nu en bronze, qui dans sa main dodue tenait en l'air un énorme candélabre : « Mais c'est inimaginable ! s'écria Mik, serrant le poing contre son front. Dans quelles ténèbres imbéciles planaient les gens qui fabriquaient de telles choses, et aussi ceux qui ont acheté un objet pareil ? Mon cher, regardez (il me saisit par les épaules ), regardez seulement sa physionomie. Pensez (il serra le poing contre son front ) que ce bébé soulève de son bras tendu un poids cinq fois supérieur au sien propre, mais c'est monstrueux, c'est comme vingt pouds (équivalent 16,38 kg) pour vous ou moi. Eh bien ? Qu'exprime cependant son minois ? Y voyez-vous ne serait-ce que le moindre reflet de lutte, d'effort ou de tension ? Mais si vous sciez le candélabre attaché à sa menotte, je vous assure que la plus sensible des nourrices ne saurait deviner, en regardant sa frimousse, si ce bébé veut dormir ou s'il va maintenant...Affreux, affreux. »

Aucun commentaire: