Paul-Émile Borduas, Joute dans l’Arc-en-Ciel apache, 1949
LA TRANSFORMATION CONTINUELLE
L'horreur du présent, fruit d'un long passé sans amour, est que presque seul le comportement immoral, intéressé, soit pratique, efficace.
Dans une société en route vers l'anarchie comme dans une vie sur la même voie, au contraire il n'y a que la générosité qui soit positive, efficace.
Tant que le gouvernement des peuples sera aux mains des esprits utilitaires agissant dans des cadres définis d'avance, quelle que soit la classe ascendante (vers le pouvoir), la décadence n'aura pas atteint sa limite.
Elle descendra ainsi au cœur de la foule qui alors la vomira et avec elle tous ses faux guides.
Pour hâter ce moment, il faudrait redonner à la foule les généreux scandales de la vérité qu'on lui a cachés ou défigurés délibérément.
Il faudrait que son évolution émotive retrouve les mystères où ils sont rendus.
Eux ne peuvent revenir en arrière sans perdre contact avec le réel.
Il faut tout au moins se rendre compte que pour la foule un espoir limité ne saurait être délirant, dynamique.
Pas plus que pour un individu.
C'est même un désespoir de plus.
Le risque total serait autrement dynamique.
Mais pour ce risque, il faut une évolution émotive, pour soi, pour la foule, que l'on refuse et se refuse.
L'homme préfère ne pas voir, ne pas entendre, avec le fallacieux espoir que sa visière et ses oreillères ainsi rabattues l'empêcheront de vieillir, de mourir.
La crainte de perdre pied, d'être seul, la crainte de perdre une parcelle d'un passé déjà lointain, dépassé, qui n'a plus pour lui qu'une valeur sentimentale, lui fait manquer l'occasion d'un contact autrement émouvant avec une réalité neuve.
La crainte de risquer sa tranquillité et sa sécurité illusoires lui fait préférer grignoter un fruit sec, encore réel en lui peut-être, mais déshydraté depuis mille ans d'espoirs déçus.
L'homme n'a pas le courage de prendre l'entière responsabilité du lendemain.
Toute son ingéniosité ne sert qu'à freiner.
Toute son ingéniosité n'empêchera pas les freins de sauter.
Paul-Émile Borduas
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